Jusqu’à présent notre équipe ne vous a proposé que des interviews des figures de l’innovation dans le monde de l’entreprise. Mais qui a dit que l’innovation ne se cantonnait qu’au secteur privé ? En effet, dans son objectif d’améliorer et d’augmenter l’état des connaissances, la recherche est à la fois une grande créatrice et consommatrice d’innovations.
Nos étudiants sont donc allés à la rencontre de certains acteurs de ce domaine , à Télécom SudParis une grande école d’ingénieur portée sur les sciences du numérique.
Une vision de l’innovation floue.
Il est incontestable que la recherche fait partie intégrante du processus d’innovation, car elle est l’une des sources majeures des améliorations technologiques et des processus. Pourtant l’innovation est loin d’être l’objectif principal de la recherche. D’ailleurs lors de leurs choix de sujet de recherche les chercheurs ne s’intéressent que peu aux retombées innovantes.” La plupart des résultats de recherche ne sont d’ailleurs pas source d’innovation” déclare Mme Bernadette Dorizzi ,Directrice de la recherche et des formations doctorales.
Ce détachement est d’autant plus visible dans les divergences d’avis des chercheurs interviewés sur la question de la définition de l’innovation:
Pour Mme Bernadette Dorizzi, recherche et innovation sont deux choses distinctes, la bascule entre recherche et innovation se passe alors au moment où des résultats de recherche deviennent valorisés par de l’application industrielle. En revanche M. Nel Samama, Directeur adjoint du département Electronique-Physique, professeur et chercheur en navigation , voit dans l’innovation une évolution qui est apporté soit par un changement de vision de technologie ou de méthode, soit par la mise en œuvre de nouvelles connaissances: ” il faut apporter quelque chose que personne n’a vu”. M. Yanneck Gottesman, Maitre de Conférences et chercheur, lui reste beaucoup plus réservé sur la question :”Avant on parlait de recherche et développement, puis on a parlé de recherche et innovation, aujourd’hui on ne parle plus que d’innovation . En fin de compte on a juste changé de terme mais il est toujours question de recherche. L’innovation peut en être une finalité mais on ne peut pas la provoquer , elle se produit mais elle ne se décrète pas “.
Comment expliquer un tel détachement de la recherche publique alors que l’innovation est l’objectif principal de la recherche privée?
La recherche publique et privée divergent sur leurs visions de l’innovation.
Tout n’est qu’en fait qu’une question de finalité. La survie de l’entreprise oblige la recherche privée à accoucher d’innovations. La structure est donc adaptée a ce que les financement engagés soient concrétisés par des résultats de recherches le plus rapidement possible, quitte à découper les longs projet en sous-projets nous informe M. Nel Samama fort de son expérience. Après sa thèse M. Samama a en effet décidé de rejoindre la recherche privée chez Thompson (ex-Thalès) durant une dizaine d’années. Il a depuis rejoint les équipes de Télécom SudParis.
En revanche, comme l’ont répété de nombreuses fois les 3 chercheurs interrogés, le mot d’ordre de la recherche publique lui est Liberté. Ainsi sous réserve de résultats ,notamment traduits par des publications et des dépôts de brevets, et d’un intérêt scientifique réel pour le sujet, les chercheurs peuvent partir dans de nombreuses directions en ce qui concerne leur choix de sujet. M. Yanneck Gottesman voit dans cette organisation une nécessité car elle permet de mieux gérer les “voies ” ouvertes au cours de l’étude et de ne pas laisser à l’abandon des résultats prometteurs. Il est donc possible de travailler sur ces différentes “voies” simultanément afin de ne jamais être à cours de sujets, de toujours avoir quelque chose à proposer à la communauté en fonction de leurs intérêt.
Cette liberté permet ainsi non seulement d’étaler les sujets dans le temps mais aussi de balayer de façon plus large les possibilités et les solutions à apporter à des problèmes sans forcément s’occuper de la nécessité du résultat, celui ci pouvant toujours être recyclé dans le cadre d’autres études. Cette vision de la recherche à long terme permet ainsi de ne pas travailler pour un objectif précis et donc de gérer au mieux le hasard et les inattendus qui sont extrêmement présent lorsque l’on aborde l’inconnu et donc nécessairement quand on fait de la recherche.
Le coût de cette liberté reste néanmoins important: le manque de moyens, aussi bien matériels, financiers , qu’humains constituent le frein le plus important de la recherche publique. Pourtant M Samama voit une force dans ces contraintes car elles obligent les équipes a être originale et donc à aborder soit des sujets différents de ceux de l’industrie ou bien de les aborder d’une façon différente. C’est ainsi que dans son projet de géo localisation indoor, malgré une équipe restreinte et des moyens moindres face aux géants industriels du secteur, il a été en mesure de proposer une solution efficace, fonctionnelle et originale par l’utilisation de petites antennes alors que les industriels avaient tous choisi une solution différente n’employant pas ce matériel et qui ne donnait pas les résultats demandés.
La recherche publique a donc une force qui lui est propre. C’est pour cela qu’elle intéresse l’industrie, car elle représente une alternative à ce qu’elle possède déjà. Les brevets déposés par les chercheurs peuvent ainsi mener à la création de start-ups ou bien être achetés par les industries nous confie Mme Dorizzi, même si comme le précise M. Gottesman les résultats de recherche sont généralement publiés et sont donc libres.
Ainsi la recherche joue un rôle majeur dans le monde de l’innovation, mais le spectre de la recherche est tellement large que l’innovation y joue finalement un rôle mineur. Le seul moyen de donner à l’innovation la place qu’elle a dans le monde de l’industrie est alors de canaliser cet univers sur cet objectif en jouant par exemple sur temps alloué à un sujet de recherche.